Lettre à moi-même, du passé au futur.

Paris, le 03 MARS 2011 ça fait quelques temps que j'y pense. Et ça me semble très difficile de s'écrire à soi, même à son futur soi. Surtout parce que c'est justement à cause de ça que j'ai envie d'écrire: à cause de ce futur moi que j'ignore, qui m'est pour l'instant étranger. Ce futur moi qui m'ignorera peut être. C'est une des raisons majeures, je ne sais pas si mon futur moi m'ignoreras, et je crois que je n'en ai pas envie. Je voudrais qu'il se souvienne. Je t'écris pour que tu te souviennes, et parce que je crois que j'aimerais recevoir une lettre de moi-même, pour m'aider ou me rendre meilleure. Parfois on est soi-même la mieux placée pour cette tâche, mais il nous manque le recul d'une personne extérieure. Alors ça me semble un bon compromis ! Je n'oublie pas que c'est l'idée d'une jeune fille, et qui ne sais pas ce qu'elle vaudra pour la moi adulte. Cependant cela fait aussi parti des raisons pour lesquelles j'écris: je suis presque certaine, j'ai l'intime conviction, que cette jeunesse est tellement riche, tellement fondatrice, qu'elle a forcément à apporter à l'âge adulte. C'est d'ailleurs certain, on ne se construit pas sur rien. Mais au delà, je crois qu'elle est assez riche pour avoir de l'importance à un moment donné, à un moment précis de l'âge adulte. Elle sera toujours là, en fond, en nappe phréatique. Mais peut être qu'à un moment, elle sera trop au fond et j'aurais besoin de la faire resurgir. Souvent je pense à ce que je voudrais dire à mes enfants. Je pense à tout ce que mes parents ne m'ont pas dit, et je ne suis pas certaine d'ailleurs de ce qui est bon à dire ou pas. Je ne suis pas certaine non plus des choses dont on se souvient de notre enfance, adolescence, jeunesse quand on est parent, et dans le doute j'ai envie de me laisser le choix. ( J'ai l'impression d'influer sur ma vie à venir et c'est très étrange ) Le moment venu, je saurais ce qui est bon à dire ou non, car il y a sûrement beaucoup de choses que des parents gardent pour soi, il ne faut pas gâcher la découverte, la nouveauté, le flou, la bataille, c'est important. Ca je le sais. Quand je repense à mon enfance et mon adolescence jusqu'ici ( aussi loin que je puisse me souvenir avoir été "consciente"), j'ai une sensation de beaucoup de silence. C'est vrai, il y a eu beaucoup de choses silencieuses entre moi et mes parents, depuis très longtemps. Beaucoup de pudeur, de non-dits, des choses qui se transmettent, un fonctionnement comme un autre, et dont je ne me plains pas. Je l'ai compris, je le respecte, j'en fais parti. Je dois maintenant me démerder avec ma propre part de la chose, les souffrances mais aussi cette grande force que cela implique. J'espère qu' adulte, je me sentirais toujours aussi forte que je le suis maintenant. J'espère avoir des enfants. J'espère que je me souviendrais avoir beaucoup pleuré à propos de la stérilité. D'avoir fait un pas dans mon apprentissage de la mort. De m'être sentie perdue, et très seule. De grandir. Sans le silence avec les parents, ça aurait été différent. Mais c'est comme c'est, et j'ai appris à être une fille toute seule, une femme tout seule, j'ai découvert mon corps toute seule. C'est peut être comme si mes parents m'avaient offert d'avoir mon corps pour moi toute seule, d'en être parfaitement la propriétaire. Beaucoup de liberté. J'espère que je me souviendrais avoir découvert, puis m'être intéressé, et commencé à réfléchir à toutes cette vie que sont la liberté, l'art, l'amour, l'homme, la science, la curiosité, le plaisir, la joie, la mort, la politique, et des milliers d'autres choses, chaque jour. Avoir été très émue. Avoir partagé ça avec beaucoup d'amis. M'être senti jeune et forte. J'espère être toujours avide, toujours mesurée ( c'est à dire mesurée et démesurée), positive, raisonnable ( c'est à dire raisonnable et déraisonnable), curieuse. Je voudrais me souvenir avoir des certitudes, des convictions. Qu'elles aies évolué autant que moi mais qu'elle soient encore là. Que le monde est beau. Qu'il est ce qu'on en fait. Qu'il faut se battre. Que tout est amour. Amour des hommes, amour de l'art, amour des autres, amour de la beauté. Produire du sens. Garder le sens, protéger le sens. Parce que l'horreur c'est la perte de sens. ( Ne pas oublier de mesurer certaines choses à l'échelle de la vie. Certaines ont plus d'importance ou de sens qu'on en le croit. ) J'espère pouvoir donner ce goût à mes enfants. Aussi bien que mes parents, faire passer habilement toute cette passion, cette joie, cet amour, cette force. Je sais que ce sera le cas si j'en ai l'occasion. Transmission. Spontanéité. J'ai confiance. 09 MARS 2011, dans ma chambre au 18 Rue Juliette Dodu. Je n'ai pas grand chose à rajouter. Pour finir j'ai envie de faire la liste des choses qui me nourrissent, parce que j'ai un petit dossier sur mon bureau d'ordinateur, qui s'appelle Scarabées, et où il y a tous ces artistes que j'aime. Je vais y rajouter les réalisateurs, les films, les livres et les auteurs. Il y en a que j'aime plus ou moins, mais c'est bien trop compliqué de faire un ordre, alors je les écrit comme ils viennent. Jean Michel Basquiat, Frida Kahlo, les Abakans de Magdalena Abakanowicz, Alexander MacQueen, Monet, Cy Twombly, Robert Demachy, Harry Callahan, Francesca Woodman, Giacometti, Andy Goldsworthy, Hiroyuki Doi, Hervé Guibert, James Castle, Keichi Tahara, Kiki Smith, Max Ernst, Anette Messager, Marc Trivier (mais pas les portraits), Michael Ackerman, Michal Rovner, Rina Banerjee, Rodin, Sarah Moon, Terry Winters, Yamamoto Masao,... Joseph Roth ( Le poids de la grâce ), Murakami ( Kafka sur le rivage), Stifter ( L'homme sans postérité), B.M Koltès, Wajdi Mouawad, Samuel Beckett, Nabokov ( Lolita ), George Perec, Jonathan Safran Foer ( Incroyablement fort extrêmement près ), Jacques Prévert,... Wong Kar Waï ( In the mood for love, 2046 ), Billy Wilder ( les films noirs ), La nuit du chasseur ( Charles Laugton ), Les nerfs à vif ( J.lee Thompson ), John Cassavetes, De sica ( Miracle à milan ), Le roi et l'oiseau, Chris Marker, Les enfants du Paradis, Tarantino, Taxi Driver, Tetro, Les 400 coups, Miyazaki, La Strada,... J'ai confiance !